Dans une station essence, quelque part sur la nationale 1, au Maroc, une vieille cheikha s’est confiée à moi, un enfant d’une dizaine d’années. Restées longtemps mystérieuses, ses paroles ont fécondé un itinéraire que je questionne, aujourd’hui entre ville et campagne, entre crainte et fascination. Je me fraye un chemin, à la rencontre des Cheikhat marocaines, accompagné par ces mots indélébiles : " Que Dieu t’épargne la débauche qui est la mienne ". Le terme cheikha est la forme féminisée de cheikh, qui signifie " vieux, honorable ". Cheikhat, le pluriel de cheikha, désigne un groupe de musique dans lequel la femme joue un rôle prépondérant. On ne naît pas cheikha, on naît rêveuse, et la femme marocaine des campagnes voit souvent son destin bien vite établi par le poids de la tradition. Les cheikhat sont donc des femmes qui, un jour, ont choisi de rompre, au moyen de la musique, avec la fatalité de la condition féminine au Maghreb. Lourd de conséquences dans une société traditionaliste, ce choix implique une marginalité et une force de caractère qui les rendent attirantes ou détestables, méprisées ou adulées.